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le reste semble rapetissé. Il est si grand, que l’esprit ne peut en garder l’image ; on se le rappelle plus petit, et, quand on y retourne, on le retrouve plus grand.

Krascali, 15 novembre 1786.

Mes amis sont couchés, et j’écris encore, avec l’encre de Chine qui nous a servi à dessiner. Nous avons eu deux ou trois beaux jours sans pluie, un soleil chaud et caressant, qui nous ôte le regret de l’été. La contrée est très-agréable ; Frascati est situé sur une colline, ou plutôt sur le penchant d’une montagne, et chaque pas offre au dessinateur des objets magnifiques. La perspective est sans bornes ; on voit Rome dans la plaine, et, plus loin, la mer ; à droite, les montagnes de Tivoli. Dans cette « plaisante » contrée, les maisons de campagne sont réellement des maisons de plaisance, et, comme les anciens Romains avaient ici leurs villas, il y a cent ans et plus que de riches et orgueilleux Romains ont aussi établi leurs maisons de campagne dans les plus beaux endroits. Voici deux jours que nous parcourons la contrée, et nous trouvons toujours quelque chose de nouveau et de ravissant.

Et cependant je ne sais si les soirées ne sont pas plus agréables encore que le jour. Aussitôt que l’hôtesse, à la belle prestance, a posé sur la grande table ronde la lampe de laiton à trois bras, et nous a dit felicissima notle, on forme le cercle, on produit les feuilles qu’on a esquissées et dessinées pendant le jour. Puis on se demande si l’objet n’aurait pas dû être pris d’un autre point de vue plus favorable, si le caractère en est bien saisi ; enfin toutes ces premières conditions générales dont on peut se rendre compte sur la première ébauche. Le conseiller Reiffenstein sait organiser et diriger ces séances par ses lumières et son autorité : mais cette louable fondation est due proprement à Philippe Hackert, qui savait dessiner et peindre d’après nature avec un goût infini. Artistes et amateurs, hommes et femmes, jeunes et vieux, il ne laissait per-. sonne en repos ; il encourageait tout le monde à s’essayer selon ses talents et ses forces, et il donnait l’exemple. Après le départ de cet ami, le conseiller Reiffenstein a continué fidèlement celte habitude de rassembler et d’amuser une société,