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ment que les places principales sont menacées de se trouver sous l’eau. J’ai vu même obstrués et pleins d’eau quelques égouts de la petite place Saint-Marc, qui sont très-soigneusement établis, comme ceux de la grande. Quand il survient un jour de pluie, c’est une boue insupportable; tout le monde jure et tempête; on salit, en montant et descendant les ponts, les manteaux et les tabarri, que l’on traîne ici toute l’année; et, comme tout le monde court en bas et en souliers, on s’éclabousse et l’on est furieux, car ce n’est pas d’une boue ordinaire, mais corrosive, qu’on est sali. Le temps redevient beau, et nul ne songe à la propreté. On a raison de le dire : le public se plaint toujours d’être mal servi, et il ne sait pas entreprendre de se faire mieux servir. Ici, que le souverain le veuille, et tout sera bientôt fait.

Je suis monté ce soir à la tour de Saint-Marc, parce que, ayant vu d’en haut dernièrement les lagunes dans leur magnificence à la marée montante, j’ai voulu les voir dans leur abaissement pendant le reflux, et il est nécessaire d’unir ces deux images pour se faire une juste idée. On trouve étrange de voir la terre paraître de tous côtés, là où s’étendait auparavant une plaine liquide. Les îles ne sont plus des îles, mais seulement les places plus hautes et cultivées d’un grand marais verdâtre, coupé par de beaux canaux. La partie marécageuse est couverte de plantes aquatiques, ce qui doit aussi l’élever peu à peu, quoique le flux et le reflux tiraillent et ravagent sans cesse, et ne laissent à la végétation aucun repos.

J’en reviens à la mer. J’y ai vu aujourd’hui le manège des doris, des patelles, des crabes, et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Qu’un être vivant est une chose précieuse et magnifique! comme il est approprié à son état! comme il est vrai! comme il existe! Combien ne me sont pas utiles mes petites études d’histoire naturelle! Quel plaisir je goûte à les continuer! Mais, ces choses pouvant se communiquer, je ne veux pas agacer mes amis avec de simples exclamations. Les constructions élevées pour arrêter la mer consistent d’abord en quelques marches rapides; puis vient un espace uni, qui s’élève doucement, puis une marche encore, et, be nouveau, un espace pareil au premier, enfin un mur dont le couronnement surplombe. La marée monte ces degrés et ces espaces, et, dans les