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présentation publique commence : les juges savent ce qu’ils doivent décider, les parties savent à quoi elles doivent s’attendre Cependant cette forme me plaît beaucoup mieux que notre torpeur de greffes et de bureaux, et je veux essayer de donner une idée des circonstances et de toute cette procédure ingénieuse, simple, naturelle.

Dans une vaste salle du palais, les juges étaient assis d’un côté en demi-cercle; vis-à-vis, dans une tribune qui pouvait contenir plusieurs personnes à côté les unes des autres, les avocats des deux parties; immédiatement devant la tribune, sur un banc, le demandeur et le défendeur en propres personnes. L’avocat du demandeur était descendu de la tribune, car la séance du jour n’était pas destinée aux débats. Il s’agissait de lire tous les documents pour et contre, quoiqu’ils fussent déjà imprimés. Un maigre secrétaire, en habit noir de pauvre apparence, un épais cahier à la main, se préparait à remplir l’office de lecteur. Les spectateurs et les auditeurs faisaient foule. La question et les personnes qu’elle intéressait devaient sembler d’une extrême importance aux Vénitiens.

Les fidéicommis jouissent dans cet État de la faveur la plus décidée. Une propriété, à laquelle ce caractère a été une fois imprimé, le conserve à perpétuité ; que, par un revirement, une circonstance quelconque, il se trouve aliéné depuis des siècles, qu’il ait passé par bien des mains, si la chose est portée devant la justice, les héritiers de la première famille obtiennent gain de cause, et les biens doivent être restitués. Cette fois la contestation était d’une haute importance, car la demande était élevée contre le doge lui-même ou plutôt contre sa femme, qui se trouvait, en personne, assise sur le petit banc, tout près du demandeur, enveloppée dans son zendal. C’était une dame d’un certain âge, qui avait la tournure noble, la figure régulière, et laissait voir une expression sérieuse, ou, si l’on veut, chagrine. Les Vénitiens étaient bien glorieux de voir la princesse obligée de paraître devant la justice et devant eux dans son propre palais.

Le secrétaire commença la lecture, et je compris alors ce que signifiait devant les juges, non loin de la tribune des avocats et derrière une petite table, un petit homme assis sur une