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novices, auxquelles il aurait donné leçon; or les chanteuses avaient répété souvent le morceau. Son battement était absolument inutile, et gâtait tout l’effet, comme si quelqu’un, pour nous faire comprendre une belle statue, collait sur les jointures de petits morceaux d’écarlate. Le bruit étranger détruit toute harmonie. Et cet homme est musicien, et il n’entend pas cela, ou plutôt il veut qu’on soit contraint par cette incongruité de remarquer sa présence, tandis qu’il ferait mieux de laisser deviner son mérite à l’excellence de l’exécution! Je sais que les Français ont cette habitude. Je ne l’aurais pas supposée chez les Italiens, et le public y semble accoutumé. Ce n’est pas la seule occasion où il se figure que la jouissance est favorisée précisément par ce qui la détruit.

Je suis allé hier à l’Opéra de Saint-Moïse (car les théâtres empruntent leur nom à l’église la plus proche). Je n’ai pas été fort satisfait. Il manque au plan, à la musique, aux chanteurs, l’intime énergie, qui seule peut élever ce spectacle au plus haut point. On ne pourrait dire d’aucune partie qu’elle est mauvaise; mais les deux femmes faisaient seules des efforts, beaucoup moins cependant pour bien jouer que pour se produire et pour plaire. Après tout, c’est toujours quelque chose : ce sont deux jolies figures, de belles voix, de petites personnes, gentilles, éveillées, avenantes. Quant aux hommes, nulle trace chez eux de force intérieure et du désir de produire sur le public aucune illusion; d’ailleurs, aucune voix brillante.

En somme, le ballet, d’invention misérable, a été sifflé; cependant on a fort applaudi quelques habiles sauteurs et sauteuses. Celles-ci se faisaient un devoir de produire aux yeux des spectateurs leurs formes les plus belles.

Aujourd’hui j’ai vu une autre comédie, qui m’a bien plus amusé. J’ai entendu plaider une cause dans le palais ducal. Elle était importante, et le bonheur a voulu qu’elle se présentât pendant les vacances. L’un des avocats était tout ce que devrait être un bouffon exagéré. Une figure épaisse, courte et pourtant mobile, un profil d’une saillie extraordinaire, une voix d’airain, et une véhémence telle qu’on eût dit que ses paroles sortaient du plus profond de son cœur. J’appelle cela une comédie, parce que, vraisemblablement, tout est déjà fini quand cette re-