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Il commença sans bruit et sans éclat : « Les zéphyrs étaient aux « écoutes, les ruisseaux murmuraient, le soleil versait sa riante lu« mière…. » II lut ensuite quelques morceaux plus forts de Voss, de Léopold Stolberg, de Burger, de telle façon que nul n’aurait eu à se plaindre. Tout à coup il sembla que le démon de la témérité l’eût pris aux cheveux, et je crus voir devant moi en propre personne le chasseur sauvnge. Il lut des poésies qui n’étaient pas dans \’Almanach ; il passa par tous les tons et tous les genres : hexamètres, iambes, rimes, tout ce qui se présentait, tout pêle-mêle ; il secouait la branche et les fruits tombaient. Quelles inspirations ! quels heureux caprices ! Il lui échappait souvent des traits sublimes, dont les auteurs auxquels il les attribuait auraient rendu grâce à Dieu, s’ils les avaient trouvés à leur pupitre.

« Quand la ruse fut découverte, cela répandit dans la compagnie une gaieté générale. Il trouva quelque chose à l’adresse de chacun. Il loua la bienveillance avec laquelle je me faisais le Mécène des savants, des poètes et des artistes naissants ; mais il me fit entendre par un apologue en rimes improvisées que la poule d’Inde, qui couve patiemment ses œufs et ceux d’autrui, laisse parfois glisser sous son aile un œuf de craie au lieu d’un véritable.

« C’est Goethe ou c’est le diable ! dis-je à Wieland. — C’est l’un « et l’autre, me répondit-il. Il a aujourd’hui le diable au corps, et le « voilà comme un ardent poulain qui rue des quatre pieds. On fait « bien alors de ne pas en approcher de trop près. »

Cependant Wieland sut apprécier des premiers, avec une sagacité bienveillante, tout ce qu’il y avait de « conduite et de savoir-faire » sous les airs impétueux de son jeune émule. Il signale le changement heureux qui se fit graduellement dans ses manières et son genre de vie. « Dès le moment où il se fut décidé à se vouer au duc et aux soins du gouvernement, il se conduisit, dit Wieland, avec une irréprochable <i<«xppo<j<jVT) et avec toute la prudence convenable. »

Goethe se vif exposé à des reproches d’un autre genre. Ses admirateurs, tout comme ses envieux, le blâmaient d’avoir sacrifié son génie aux faveurs de la cour. Mais, comme il le fait observer dans ses Mémoires, à cette époque, un poète pouvait moins encore que de nos jours se borner à être poète. Il lui fallait une position sociale, qui réclamait nécessairement une partie de son temps et de ses forces. Goethe n’aurait pas dû faire moins de sacrifices à la pratique du droit, s’il l’avait continuée à Francfort, qu’il n’en fit aux affaires de Charles-Auguste et à la vie de cour. D’un autre côté, le poète gafrnait infiniment, pour la connaissance du monde et du cœur hu-