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Le soir.

Je suis allé voir le vieux architecte Scamozzi, qui a publié les Édifices de Palladio et qui est un artiste habile et passionné. Charmé de ma sympathie, il m’a donné quelques directions. Parmi les bâtiments de Palladio, il en est un pour lequel j’eus toujours une prédilection particulière : ce fut, dit-on, sa propre demeure. Mais elle dit beaucoup plus dans la réalité que dans l’estampe. Je voudrais en avoir le dessin, enluminé des couleurs que les matériaux et la vétusté lui ont données. Mais il ne faut pas se figurer que l’architecte se soit bâti un palais. C’est la maison la plus modeste du monde. Elle n’a que deux fenêtres, séparées par un large trumeau, qui en comporterait une troisième. Si l’on voulait en faire un tableau, en y joignant les maisons voisines, la manière dont elle s’y trouve intercalée produirait un heureux effet. C’était un sujet digne de Canaletto.

Vicence, 22 septembre 1786.

Aujourd’hui j’ai été voir la Rotonde, édifice magnifique, sur une agréable colline à une demi-lieue de la ville. C’est un bâtiment carré, qui renferme une salle ronde éclairée d’en haut. On y monte des quatre côtés par un large escalier, et l’on arrive chaque fois dans un porche, formé de six colonnes corinthiennes. L’architecture n’a peut-être jamais porté son luxe plus loin. L’espace occupé par les escaliers et les porches est beaucoup plus grand que celui de la maison même : car chaque côté formerait à un temple une belle façade. L’intérieur est habitable, mais non pas confortable. La salle est dans les plus belles proportions, les chambres aussi : mais elles suffiraient à peine aux besoins d’une résidence d’été pour une noble famille. En revanche, l’édifice se présente de tous côtés admirablement dans la contrée entière. Sa masse principale, avec les colonnes saillantes, offre des mouvements très-variés aux regards des promeneurs. Le propriétaire, qui a voulu laisser un grand fidéicommis et en même temps un monument de sa richesse, a parfaitement atteint son but. Et de même que l’édifice se voit, dans sa magnificence, de tous les points de la contrée, la vue qu’on a de la Rotonde est aussi infiniment agréa-