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imitations de ce superbe produit de la nature. Un arbre dont toutes les branches, de la base au sommet, les plus vieilles comme les plus nouvelles, s’élancent vers le ciel, un arbre qui dure ses trois cents ans est bien digne de vénération. Vu l’époque où le jardin fut établi, les arbres doivent avoir atteint cet âge.

Vicence, 19 septembre 1786.

La route de Vérone jusqu’ici est très-agréable. On va au nord-est, en côtoyant les montagnes, dont on a toujours à gauche les contre-forts. Ils se composent de sable, de chaux, d’argile, de marne. Sur les collines qu’ils forment sont des villages, des châteaux, des maisons. A droite, s’étend la vaste plaine que l’on parcourt. La route, large, droite, bien entretenue, traverse de fertiles campagnes. Le regard pénètre dans de profondes rangées d’arbres auxquels sont suspendus les pampres, qui retombent comme des rameaux aériens. C’est ici qu’on peut se faire une idée des festons. Les raisins sont mûrs, et les longues branches pendantes se courbent sous le poids. La route est pleine de gens de toute sorte, livrés à tous les genres d’occupation. J’aimais surtout les voitures aux roues basses, en forme d’assiettes, qui, attelées de quatre bœufs, traînaient ça et là de grandes cuves, dans lesquelles on emporte de la vigne et l’on foule les raisins. Les conducteurs se tenaient debout dans les cuves, quand elles étaient vides. On eût dit un triomphe bachique. Entre les rangées de ceps, on cultive toutes sortes de graminées, surtout le blé de Turquie et le sorgho. Dans le voisinage de Vicence, les collines s’élèvent de nouveau du nord au sud. Elles sont, dit-on, volcaniques. Elles ferment la plaine. Vicence est au pied et, si l’on veut, dans une gorge qu’elles forment.

Je suis, arrivé depuis quelques heures. J’ai déjà parcouru la ville; j’ai vu le Théâtre olympique et les édifices de Palladio. On a publié, pour la commodité des étrangers, un livret fort joli avec des figures et un texte qui dénote la connaissance des arts. C’est lorsqu’on est en présence de ces ouvrages, qu’on en reconnaît enfin la grande valeur. Il faut que l’œil en embrasse la grandeur et la masse réelles; il ne suffit pas que l’esprit soit satisfait par la belle harmonie de leurs dimensions dans des élévations abstraites, mais avec les saillies et les retraites en