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l’univers s’étend et l’art s’enrichit. Je dois louer ici l’idée d’un tableau. Ce sont seulement deux demi-figures. Samson est endormi sur les genoux de Dalila ; elle avance doucement le bras, par-dessus lui, vers des ciseaux posés sur une table près de la lampe. L’exécution est d’un grand mérite. Dans le palais Canossa, j’ai vu une Danaë remarquable. Le palais Verilaqua renferme des choses infiniment précieuses. Un tableau appelé le Paradis du Tintoret, qui est proprement le couronnement de Marie comme reine du ciel, en présence de tous les patriarches, les prophètes, les apôtres, les saints, les anges, etc., a fourni au peintre l’occasion de déployer toute la richesse du plus heureux génie. Pour admirer, pour apprécier la légèreté du pinceau, l’esprit, la variété de l’expression, il faudrait posséder le tableau et l’avoir toute sa vie devant les yeux. Le travail est infini ; les dernières têtes d’anges, qui se perdent dans la gloire, ont encore du caractère. Les plus grandes figures ont environ un pied de haut. Marie et Jésus, qui lui pose la couronne sur la tête, ont environ quatre pouces. Ėve est pourtant la plus jolie petite femme du tableau, et, comme toujours, elle incline un peu à la convoitise. Quelques portraits de Paul Véronèse ont augmenté mon admiration pour cet artiste. La collection des antiques est superbe; un fils de Niobé couché à terre est excellent, et les bustes, en dépit de leurs nez restaurés, sont fort intéressants : un Auguste portant la couronne civique, un Caligula et d’autres. Il est dans ma nature de vénérer avec plaisir, avec joie, le grand et le beau; cultiver jour par jour, heure par heure, cette disposition en présence de si magnifiques objets, est le sentiment le plus délicieux qu’on puisse éprouver.

Dans un pays où l’on jouit du jour, mais particulièrement du soir, le moment où la nuit tombe est d’une grande importance. Alors cesse le travail, alors on revient de la promenade; le père veut revoir sa fille à la maison; le jour a une fin; mais, ce que c’est que le jour, nous le savons à peine, nous autres Cimmériens. Dans nos brouillards éternels, sous notre ciel nébuleux, qu’il soit jour ou nuit, la chose nous est fort égale; car, combien de temps pouvons-nous réellement nous promener et nous ébattre au grand air? Ici, quand la nuit commence, le jour est décidément passé, ce jour qui s’est composé d’un soir et d’un