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jeter sur moi un regard oblique ? Tournez vers moi vos visages ; fixez avec joie et confiance vos yeux sur les miens ; éloignez x toute crainte ; élevez vos cœurs !… Oui, vous voyez devant vous l’homme qui, aussi vieux que les prêtres égyptiens, aussi sublime que les sages indiens, s’est formé dans le commerce des plus grands hommes que vous admirez depuis des siècles ; qui est au-dessus de tous les rangs, qui n’a besoin d’aucune richesse ; qui fait en secret le bien que le monde attribue tantôt à une cause, tantôt à une autre ; qui vit dans une société secrète d’hommes répandus sur toute la terre, plus ou moins semblables, entre eux, se révélant rarement eux-mêmes mais très-souvent par leurs œuvres.

LE CHANOINE.

Est-il possible qu’il y ait d’autres hommes pareils à toi ?

LE COMTE.

Chaque être trouve son semblable, un seul excepté ! (Il montre le ciel.)

LE CHEVALIER

Quelle sublime pensée !

LA MARQUISE, (’( pari.

Quel vaurien ! Mêler à ses mensonges la chose la plus sainte !

LE COMTE.

Oui, regardez. Le soleil brûlant, la neige mordante, ne peuvent rien sur cette tête. Avec ce bras étendu et désarmé, j’arrêtai dans les déserts de Libye un lion affamé et rugissant ; de cette voix, qui vous parle, je le menaçai jusqu’à ce qu’il vînt ramper à mes pieds. Il reconnut son maître, et je pus ensuite l’envoyer à la chasse, non pour moi, qui ne mange point de chair, et qui à peine ai besoin d’une nourriture terrestre, mais pour mes disciples, pour le peuple, qui se rassemblait souvent autour de moi dans le désert. Ce lion, je l’ai laissé à Alexandrie ; à mon retour, je trouverai en lui un fidèle compagnon.

LE CHANOINE.

Les autres maîtres de ta société ont-ils d’aussi grands pouvoirs que toi ?

LE COMTE.

Les dons sont diversement répartis ; aucun de nous ne peut dire qu’il soit le plus grand.