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LA MARQUISE.

Eh bien ?

LA NIÈCE.

Dès la mort de ma mère, le repos et le bonheur ont fui loin de moi.

LA MARQUISE.

Comment ? (Se détournant.) Serait-ce possible ? (Haut.) Continuez.

LA NIÈCE.

Oh ! vous me haïrez ; vous me rejetterez. Malheureux jour, où votre bonté même m’a perdue !

LA MARQUISE.

Expliquez-vous.

LA NIÈCE.

O Dieu, qu’il est pénible d’exprimer ce que l’erreur d’un instant funeste nous fit croire si doux !… Pardonnez-moi de l’avoir trouvé aimable ! Ah ! comme il était aimable ! Le premier homme qui m’eût pressé la main avec ardeur, qui eût arrêté ses yeux sur les miens et juré qu’il m’aimait ! Et dans quel temps ? Dans les moments où mon cœur, longtemps oppressé, d’une manière inexprimable, par la perte la plus cruelle, s’épanchait enfin en larmes brûlantes, se fondait de tendresse !… lorsque, dans le monde désert, je ne voyais autour de moi, à travers les nuages de la douleur, que dénûment et chagrin…. Oh ! il me parut alors comme un ange ; l’homme que j’avais déjà respecté dans mon enfance parut comme mon consolateur. Il pressa son cœur contre le mien…. J’oubliai qu’il ne pourrait jamais être à moi…. qu’il vous appartenait…. J’ai tout dit !… Vous ne détournez pas le visage ? Haïssez-moi, je le mérite ! Repoussez-moi ! Laissez-moî mourir ! (Elle se jette sur un siège.)

La Marquise, à part.

Séduite … par mon mari !… L’un et l’autre me surprennent ; l’un et l’autre viennent mal à propos…. Remettons-nous..,. Loin de moi toute petitesse, tous sentiments étroits ! La question est de savoir si je ne puis mettre encore à profit cette circonstance ?… Certainement !… Oh ! elle n’en sera que plus docile, et plus disposée à m’obéir aveuglément !… Et cette découverte me donne aussi sur mon mari de nouveaux avantages. Pourvu que j’atteigne