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Tu vas entendre une énigme au lieu de plaintes ; et je te demande un oracle et non un conseil. Deux chemins s’ouvrent devant mes pas, pour me conduire à doux buts détestés, l’un par ce côté, l’autre par celui-là : lequel me faut-il choisir ?

LE MOINE.

Tu m’induis en tentation ! Dois-je prononcer comme le hasard ?

EUGÉNIE.

Comme un hasard sacré.

LE MOINE.

Si je te comprends, ton regard s’élève, de sa détresse profonde, vers les régions supérieures. La volonté propre est morte dans ton cœur ; tu attends la décision du Tout-Puissant. Oui sans doute, le moteur éternel fait agir, d’une manière qui nous est incompréhensible, une chose ou une autre, comme par hasard, pour notre bien, pour le conseil, pour la décision, pour l’accomplissement, et nous nous trouvons comme portés vers le but. Sentir cette vocation, c’est le suprême bonheur ; ne pas la demander est le devoir de l’humilité ; l’attendre est la plus douce consolation dans la souffrance. Oh ! que ne suis-je trouvé digne de pressentir maintenant pour toi ce qui te serait le plus avantageux ! Mais le pressentiment est muet dans mon sein, et, si tu ne peux m’en confier davantage, reçois pour adieu une stérile pitié.

EUGÉNIE.

Naufragée, je saisis encore la dernière planche : je t’arrête et te dis, à contre-cœur, pour la dernière fois, le mot sans espérance. Sortie d’une illustre maison, je suis rejetée, bannie au delà des mers, et je pourrais me sauver par un mariage, qui me fait descendre dans les rangs inférieurs. Que dit ton cœur, maintenant ? Est-il encore muet ?

LE MOINE.

Ou’il se taise, jusqu’à ce que la raison, qui juge, doive ellemême se déclarer impuissante. Tu ne m’as fait que des confidences générales, je ne puis te donner qu’un avis général. Si tu es forcée de choisir entre deux maux détestés, regarde en face l’un et l’autre, et choisis celui qui te laissera le plus d’indépen