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L’étrangère, menacée, entourée de méchants, pourrait se réjouir, sentir une orgueilleuse consolation, de se voir à ce point estimée et chérie, si elle ne songeait en même temps au bonheur de l’ami, de l’homme généreux, le seul peut-être de tous les hommes, qui veuille lui offrir ses secours. Ne t’abuses-tu point toi-même ? Et oses-tu te mesurer avec la puissance qui me menace ?

LE CONSEILLER.

Non pas seulement avec celle-là !… Pour échapper à la violence d’une impétueuse multitude, un Dieu nous a montré le port le plus beau. C’est seulement dans la maison où l’époux règne tranquille, que la paix habite, la paix, que tu chercherais en vain sur les rives lointaines. L’envie inquiète, la furieuse calomnie, les brigues impuissantes, partiales, sont sans effet contre cette enceinte sacrée. La raison et l’amour maintiennent toutes les joies, et leur main allége tous les malheurs. Viens, et te sauve auprès de moi ! Je me connais, et je sais ce que j’ose et puis promettre.

EUGÉNIE.

Es-tu prince dans ta maison ?

LE CONSEILLER.

Je le suis. Et nous le sommes tous, le bon comme le méchant. Est-il un pouvoir qui pénètre dans cette maison où le tyran afflige une aimable épouse, lorsqu’il agit avec turbulence, selon sa propre volonté, et, par ses caprices, ses paroles, ses actions, détruit ingénieusement, avec une maligne joie, chaque plaisir ? Qui séchera les pleurs de l’épouse ? Quelle loi, quel tribunal atteindra le coupable ? Il triomphe, et la patience muette couche peu à peu, avec désespoir, la victime dans le tombeau. La nécessité, la loi, la coutume, ont donné à l’homme ces grands droits ; elles ont compté sur sa force, sur sa loyauté…. Chère et vénérable étrangère, ce n’est pas le bras d’un héros, ce n’est pas une famille de héros, que je puis t’offrir, mais l’honorable et sûre condition du citoyen. Et, quand tu seras à moi, qui osera te toucher encore ? Tu seras à moi pour toujours, gardée, protégée. Le roi viendrait te redemander, que je pourrais, comme époux, lutter contre le roi.




EUGÉNIE.