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ton cheval, dans le plein sentiment de ta force doublée, ta force de centaure, tu t’élances à travers vallons et montagnes, rivières et fossés, comme un oiseau traverse les airs : combien de fois ce courage m’a plus alarmé que ravi. De grAce, que désormais ton ardeur se livre plus modérément à l’exercice du cheval !




EUGÉNIE.

Le danger fléchit devant la témérité, et la modération est en butte à ses surprises. Oh ! que ton cœur sente aujourd’hui comme au temps où, avec une hardiesse sereine, tu m’initiais gaiement, moi, petite fille, dans l’art du cavalier.

LE DUC.

J’avais tort en ce temps-là ; et maintenant une longue vie d’alarmes doit-elle me punir ! Et la pratique des actes dangereux n’amorce-t-elle pas le danger ?

EUGÉNIE.

C’est le bonheur et non la crainte qui maîtrise le danger. Adieu, mon père, suis ton roi, et sois désormais, même pour l’amour de ta fille, son vassal dévoué, son fidèle ami. Adieu !

LE DUC.

Arrête ! et demeure encore une fois, à cette place, vivante, debout, comme tu es revenue à la vie, quand tu as guéri, en le remplissant de joie, mon cœur déchiré. Que celte joie ne demeure pas stérile ! Je consacre ce lieu en souvenir éternel. Ici s’élèvera un temple consacré à l’heureuse guérison. Alentour, ta main fera surgir un royaume de fées ; un labyrinthe d’agréables allées enlacera la forêt sauvage et les buissons incultes ; la roche escarpée devient accessible ; ce ruisseau se répand çà et là en miroirs limpides ; ici le voyageur étonné se sent transporté dans le paradis ; ici, tant que je vivrai, ne retentira aucune arme à feu ; nul oiseau, sur sa branche, nul animal sauvage, en son gîte, ne sera effrayé, blessé, immolé. Enfin, quand ma vue obscurcie, quand mes pieds affaiblis me refuseront leur secours, je veux, appuyé sur ton bras, venir ici en pèlerinage ; le même sentiment de reconnaissance m’animera toujours. Et maintenant, adieu !… Mais quoi ?… Tu pleures ?

EUGÉNIE.

Ah ! si mon père peut craindre*avec angoisse de perdre sa