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C’était seulement par degrés, je l’espérais, qu’au sortir de ta vie recluse, tu devais t’accoutumer au monde ; c’était par degrés seulement que tu devais apprendre à renoncer aux plus chères espérances, à plus d’un vœu charmant ; et maintenant, tout à coup, comme cette chute soudaine te le présage, tu es précipitée au milieu des soucis et des dangers. Dans cette atmosphère on respire la défiance. L’envie allume un sang fiévreux et abandonne ses malades au chagrin. Hélas ! ne dois-je plus désormais retourner le soir dans ce paradis qui t’entourait, et fuir la farce tumultueuse du monde dans le saint asile de ton innocence ! Enveloppée avec moi dans le filet, asservie, troublée, tu pleureras à l’avenir sur ton père et sur toi.




EUGÉNIE.

Non pas, mon père ! Si, jusqu’à ce jour, inactive, isolée et recluse, chétive enfant, qui ne comptais point, j’ai déjà pu, créature insignifiante, te donner la joie la plus pure, le délassement, la consolation, l’allégresse : combien ta fille, enfin associée à ton sort, ne doit-elle pas briller désormais, comme un fil aux riantes couleurs, dans la trame de ta vie ! Je prendrai part à toute noble action, à toute grande entreprise, qui rendront mon père plus cher au monarque et au royaume. Mon humeur vive, la jeune gaieté qui m’anime, se communiqueront à toi, dissiperont ces soucis, que l’immense, l’insupportable fardeau du monde amasse sur un cœur, d’homme pour l’écraser. Si autrefois, dans de tristes moments, je t’offris, enfant que j’étais, une bonne volonté impuissante, un vain amour, de frivoles badinages, j’espère maintenant, initiée à tes desseins, instruite de tes désirs, me conquérir glorieusement le droit de naissance légitime.

LE DUC.

Ce que tu perds à ce grave changement te paraît sans valeur et sans dignité : ce que tu espères, tu en fais trop d’estime.

EUGÉNIE.

Partager avec des hommes d’une haute dignité, d’une hatite fortune, un puissant crédit, une honorable influence, quelle ravissante conquête pour les nobles âmes !

LE DUC.

Sans doute ! Pardonne-moi, si tu me trouves plus faible en ce