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doucement le sentier, et, à la porte de la ville, je m’informe et je dis : « Où demeure Cornélie, Cornélie Sersale ? Indiquez-le-moi. » Une fileuse me montre la rue avec complaisance ; elle me désigne la maison. Je monte encore. Les enfants courent à mes côtés, et observent le sombre étranger, sa chevelure en désordre. J’arrive ainsi vers le seuil… Déjà la porte est ouverte ; j’entre dans la maison[1]

La Princesse.

Ô Tasse, ouvre les yeux ! Reconnais, s’il est possible, le péril qui t’environne. Je te ménage ; sans cela, je te dirais : Est-ce généreux de parler comme tu parles ? Est-ce généreux de ne penser qu’à soi, comme si tu n’affligeais pas les cœurs de tes amis ? Ignores-tu ce que pense mon frère ? comme les deux sœurs savent t’estimer ? Ne l’as-tu pas éprouvé et reconnu ? Tout est-il donc changé en quelques instants ? Ô Tasse, si tu veux partir, ne nous laisse pas la douleur et l’inquiétude. (Le Tasse détourne la tête.) Qu’il est doux d’offrir à l’ami qui s’éloigne pour un peu de temps un modeste cadeau, ne fût-ce qu’un manteau neuf ou une arme ! À toi, on ne peut plus rien te donner, car tu rejettes avec chagrin ce que tu possèdes. Tu choisis pour ton partage les coquilles, la robe brune et le bourdon du pèlerin, et tu t’en vas, pauvre par ton choix, et tu nous emportes les biens que tu ne pouvais goûter qu’avec nous.

Le Tasse.

Tu ne veux donc pas me chasser tout à fait ? Ô douce parole ! ô belle et chère consolation ! Prends ma défense ! Prends-moi sous ta protection !… Laisse-moi ici à Belriguardo ; transporte-moi à Consandoli, où tu voudras ! Le prince a tant de châteaux magnifiques, tant de jardins, qui sont gardés toute l’année, et que vous visitez à peine un seul jour, une heure peut-être. Oui, choisissez le plus éloigné, que vous ne visitez pas de toute l’année, et qui maintenant reste peut-être sans soins. Envoyez-moi dans cette retraite. Là, que je sois à vous ! Comme je soignerai tes arbres ! Comme, en automne, je couvrirai de plan-

  1. On sait que le Tasse, errant et fugitif, a fait réellement la visite dont le poëte lui prête ici le projet.