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Croyez-vous que nous puissions avoir goût au badinage et à la bonne chère, quand notre hôte quitte la table, qu’il a si obligeamment préprré ; ? Toute la soirée, vous n’avez déjà semblé présent que de corps. Vers la fin du souper, les domestiques une fois retirés, nous espérions encore vous voir ouvert et serein ; et vous sortez de table, vous nous quittez, et vous promenez ici tout pensif, à l’autre bout de la salle, comme s’il n’y avait rien auprès de vous qui pût vous occuper et vous plaire.

LE CHANOINE.

Vous demandez ce qui me préoccupe ? Marquise, ma situation vous est connue…. Serait-ce étonnant que je perdisse la présence d’esprit ? Est-il possible que l’esprit, que le cœur d’un homme reçoive plus d’assauts divers que le mien ? De quel tempérament faut-il que je sois pour ne pas y succomber ? Vous savez ce qui me met hors de moi-même, et vous me le demandez !

LA MARQUISE.

En vérité, je ne vois pas cela si clairement. Tout va cependant comme vous pouvez le désirer.

LE CHANOINE.

Et cette attente ! cette incertitude !

LA MARQUISE.

Vous n’aurez à la supporter que peu de jours…. Le comte, notre grand instituteur et maître, n’a-t-il pas promis de nous faire pénétrer tous, et vous particulièrement, plus avant dans ces mystères ? N’a-t-il pas promis d’apaiser la soif de la science secrète qui nous tourmente tous, et de satisfaire chacun de nous selon sa mesure ? Et pouvons-nous douter qu’il tienne sa parole ?

LE CHANOINE.

Bien ! il l’a promis…. Mais n’a-t-il pas défendu en même temps toutes les réunions comme celle-ci, que nous risquons aujourd’hui à son insu ? Ne nous a-t-il pas commandé le jeûne, la retraite, l’abstinence, l’exacte récapitulation et la méditation silencieuse des préceptes qu’il nous a déjà communiqués ?… Et je suis assez imprudent pour assembler secrètement dans ce pavillon une société joyeuse ; pour consacrer au plaisir cette nuit, dans laquelle je dois me préparer à une grande et sainte apparition !… Ma conscience suffit pour me troubler, quand même il n’en apprendrait rien. Et quand je viens à songer que