Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nant ! Pourquoi me suis-je fié jamais à ses lèvres ? Elle n’était pas sincère, si vivement qu’elle me témoignât, par de douces paroles, sa bienveillance, sa tendresse ! Non, elle avait, elle a toujours le cœur perfide ; elle se tourne, d’une marche habile et légère, vers la faveur… Que de fois me suis-je plu moi-même à me tromper aussi sur elle ! Et cependant, au fond, c’est la vanité seule qui m’a trompé. Oui, je la connaissais et je me flattais moi-même. « Elle est ainsi avec les autres, me disais-je ; mais avec toi son cœur est ouvert et fidèle. » Maintenant je le vois bien, et je le vois trop tard, j’étais en faveur et elle s’attachait tendrement… à l’homme heureux. Aujourd’hui je tombe, et, comme la fortune, elle me tourne le dos… Elle vient à moi maintenant comme instrument de mon ennemi ; elle s’approche en rampant, et, de sa langue flatteuse, la petite vipère, elle siffle un chant magique. Comme elle semblait aimable ! Plus aimable que jamais ! Comme chaque mot de ses lèvres était caressant ! Mais la flatterie n’a pu longtemps me cacher l’intention perfide : sur son front paraissait trop clairement écrit le contraire de tout ce qu’elle disait. Je le sens bientôt, lorsqu’on cherche le chemin de mon cœur, et que l’on n’a pas des sentiments sincères. Il faut que je parte ? Il faut que je me rende à Florence aussitôt que possible ? Pourquoi donc à Florence ? Je le vois bien. Là règne la nouvelle maison de Médicis ; elle n’est pas, il est vrai, en hostilité ouverte avec Ferrare, mais la secrète jalousie sépare, avec sa main glacée, les plus nobles cœurs. Si je recevais de ces illustres princes des marques signalées de faveur, comme j’oserais certainement les attendre, le courtisan rendrait bientôt suspectes ma fidélité et ma reconnaissance : cela lui réussirait aisément… Oui, je partirai, mais non comme vous voulez ; je partirai, et j’irai plus loin que vous ne pensez. Que fais-je ici ? Qui me retient ? Ah ! j’ai bien compris chaque parole que je tirais des lèvres d’Éléonore. J’arrachais à peine syllabe par syllabe, et, cette fois, je sais parfaitement ce que pense la princesse… Oui, oui, cela aussi est vrai : ne te désespère pas. « Elle me laissera aller de bon gré, si je pars, puisque c’est pour mon bien. » Ah ! si elle sentait dans le cœur une passion qui détruisît mon bonheur et moi-même !… Bien venue la mort, qui me saisirait, plutôt que cette main qui