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un enfant chéri, le souci et le chagrin ? Je l’ai souvent observé, et je puis l’observer comme je le veux, dans ces beaux lieux, où le bonheur semblait t’avoir transplanté, tu ne prospères point. Ô Tasse !… te le conseillerai-je ? dois-je le dire ?… Tu devrais t’éloigner !

Le Tasse.

N’épargne pas le malade, aimable médecin ! Offre-lui le remède ; ne songe point s’il est amer… Pourra-t-il guérir, voilà ce qu’il te faut bien considérer, ô sage et bienveillante amie ! Je vois tout cela moi-même : c’est fini ! Je peux bien lui pardonner : il ne me pardonnera pas. Hélas ! et l’on a besoin de lui et non pas de moi. Il est sage, hélas ! et je ne le suis pas. Il travaille à ma perte, et je ne puis, je ne veux pas lutter contre lui. Mes amis laissent aller la chose ; ils la voient autrement ; ils résistent à peine, et ils devraient combattre. Tu crois qu’il faut que je parte : je le crois aussi. Adieu donc ! Je supporterai encore cela. Vous vous êtes séparés de moi… Que la force et le courage me soient aussi donnés pour me séparer de vous !

Éléonore.

Dans l’éloignement se montre aussi avec plus de pureté tout ce qui nous trouble en présence de l’objet. Tu reconnaîtras peut-être quelle affection t’environnait partout, quelle valeur a la fidélité de véritables amis, et que le vaste monde ne remplace point l’intimité.

Le Tasse.

Nous en ferons l’épreuve ! Cependant je connais le monde dès ma jeunesse ; je sais comme aisément il nous laisse dénués, solitaires, et passe son chemin, ainsi que le soleil et la lune et les autres dieux.

Éléonore.

Veux-tu m’en croire, mon ami, tu ne répéteras jamais cette triste expérience. Si je puis te donner un conseil, tu te rendras d’abord à Florence, et une amie prendra soin de toi avec la plus grande affection. Sois tranquille : c’est moi-même. Je pars, pour y rejoindre mon mari au premier jour ; je ne puis rien ménager de plus agréable pour lui et pour moi que de t’introduire dans nos foyers. Je ne dis rien de plus ; tu sais toi-même