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Éléonore.

Dans ces réflexions tranquilles, mon cher ami, déjà je te retrouve avec joie tout entier.

Antonio.

Oui, j’ai regret, je le confesse, d’avoir perdu la mesure aujourd’hui comme j’ai fait. Mais, tu l’avoueras, quand un brave homme revient, le front brûlant, de son pénible travail, et qu’il espère enfin, le soir, se reposer, pour de nouvelles fatigues, sous l’ombrage souhaité ; s’il trouve alors la place largement occupée par un oisif, ne doit-il pas aussi sentir dans son cœur quelque faiblesse humaine ?

Éléonore.

S’il est vraiment humain, il partagera volontiers l’ombrage avec un homme qui, par son entretien, par de suaves accents, lui rendra le repos agréable et le travail facile. Il est vaste, mon ami, l’arbre qui donne l’ombrage, et nul n’a besoin de déplacer les autres.

Antonio.

Éléonore, ne jouons pas l’un et l’autre avec une image. Il est beaucoup de choses dans ce monde que l’on cède à un autre et que l’on partage volontiers ; mais il est un trésor qu’on ne peut céder avec plaisir qu’au mérite éminent ; il en est un autre que jamais on ne partagera de bon gré avec le mérite suprême ; et, si tu me demandes quels sont ces deux trésors, l’un est le laurier, l’autre la faveur des femmes.

Éléonore.

Cette couronne, sur le front de notre jeune poëte, a-t-elle offensé l’homme grave ? Tu n’aurais pu cependant trouver toi-même pour ses travaux, pour sa belle poésie, une plus modeste récompense ; car un mérite qui n’a rien de terrestre, qui plane dans les airs, qui amuse seulement notre esprit par des sons, par des images légères, n’est récompensé non plus que par une belle image, par un signe gracieux ; et, si lui-même il effleure à peine la terre, cette suprême récompense effleure à peine son front. Un stérile rameau est le don que la stérile affection des admirateurs lui fait volontiers, pour acquitter, aussi aisément que possible, sa dette. Tu n’envieras guère à l’image du martyr l’auréole dorée qui entoure sa tête chauve ; et assurément la