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éclaire faiblement le sentier du voyageur ; elles brillent, elles n’échauffent pas, et ne répandent autour d’elles aucun plaisir, aucune allégresse. Elle sera satisfaite de le savoir heureux loin d’elle, comme elle jouissait de le voir tous les jours. D’ailleurs je ne veux pas me bannir, avec mon ami, loin d’elle et de cette cour. Je reviendrai et je le ramènerai. Il faut qu’il en soit ainsi !… Voici notre farouche ami : voyons si nous pourrons l’apprivoiser.



Scène IV.

ÉLÉONORE, ANTONIO.
Éléonore.

Tu nous apportes la guerre au lieu de la paix ! On dirait que tu arrives d’un camp, d’une bataille, où la force commande, où le bras décide, et non de Rome, où une sagesse solennelle lève les mains pour bénir, et voit à ses pieds un monde qui lui obéit avec joie.

Antonio.

Il faut, belle amie, que je souffre ce blâme : cependant mon excuse n’est pas loin. Il est dangereux d’avoir à se montrer trop longtemps sage et modéré ; le mauvais génie veille à nos côtés, et veut aussi de temps en temps nous arracher un sacrifice. Par malheur, je l’ai offert cette fois aux dépens de mes amis.

Éléonore.

Tu t’es si longtemps contraint pour des hommes étrangers et réglé sur leur volonté : maintenant que tu revois tes amis, tu les méconnais et tu contestes comme avec des étrangers.

Antonio.

Voilà le péril, chère amie ! Avec des étrangers on se recueille, on observe, on cherche son but dans leurs bonnes grâces, afin qu’ils nous servent ; mais, avec les amis, on s’abandonne librement ; on se repose sur leur affection ; on se permet un caprice ; la passion agit sans frein, et par là nous offensons plus tôt ceux que nous aimons le plus tendrement.