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destinée avec un courage toujours égal ; mais il n’obtint jamais ce qu’il mérite. Ma sœur d’Urbin est-elle heureuse ? Cette belle femme, au grand et noble cœur, elle ne donne point d’enfants à son jeune époux. Il la respecte et ne lui fait point expier sa stérilité ; mais aucune joie n’habite dans leur maison. Eh ! que servit à notre mère sa sagesse, ses connaissances en tout genre, son grand sens ? A-t-il pu la préserver des erreurs étrangères ? On nous emporta loin d’elle. Maintenant, elle n’est plus : elle n’a pas laissé à ses enfants la consolation de la voir mourir réconciliée avec son Dieu.

Éléonore.

Ah ! ne regarde pas ce qui manque à chacun ; considère ce qui lui reste encore. Que de biens ne te restent pas, ô princesse !

La Princesse.

Ce qui me reste ? La patience, Éléonore ! J’ai pu l’exercer dès mon premier âge. Quand nos amis, quand mon frère et ma sœur se livraient ensemble à la joie dans les fêtes et les jeux, la maladie me tenait chez moi prisonnière, et, dans la compagnie de nombreuses douleurs, je dus m’exercer de bonne heure aux privations. Une seule chose me charmait dans la solitude, le plaisir du chant ; je m’entretenais avec moi-même ; je berçais par de doux accents ma douleur et ma mélancolie et tous mes vœux ; ainsi la peine devenait souvent une jouissance, et même les tristes sentiments une harmonie : ce plaisir ne me fut pas longtemps permis ; le médecin me le ravit encore. Son ordre sévère me prescrivit le silence ; il me fallut vivre et souffrir ; il me fallut renoncer à cette unique et faible consolation.

Éléonore.

Tant d’amis étaient auprès de toi !… Et maintenant tu es guérie, tu jouis de l’existence.

La Princesse.

Je suis guérie, c’est-à-dire que je ne suis pas malade ; et j’ai quelques amis, dont la fidélité me rend heureuse. J’en avais un aussi…

Éléonore.

Tu l’as encore.

La Princesse.

Et je le perdrai bientôt. Le moment où je le vis pour la pre-