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beau jour aurait lui pour nous, et nous pourrions célébrer notre âge d’or.

Le Tasse.

Tu me tiens des discours qui réveillent vivement dans mon cœur des craintes déjà presque endormies.

La Princesse.

Ô Tasse, quelle est ta pensée ? Parle-moi librement.

Le Tasse.

J’ai entendu souvent, et, ces jours derniers, j’entendais encore, et, quand même je ne l’aurais pas appris, encore le devrais-je imaginer… de nobles princes aspirent à ta main ! Ce que nous devons prévoir, nous le craignons, et nous en sommes presque au désespoir. Tu nous quitteras, c’est une chose naturelle, mais comment nous le supporterons, c’est ce que j’ignore.

La Princesse.

Pour le moment, soyez tranquilles. Je pourrais presque dire, soyez tranquilles pour toujours. Je me vois ici volontiers, et volontiers j’y resterai. Je ne sais encore aucune liaison qui puisse m’attirer ; et, si vous voulez en effet me retenir, montrez-le-moi par la concorde ; faites-vous à vous-mêmes une vie heureuse, et à moi par vous !

Le Tasse.

Oh ! enseigne-moi à faire ce qui est possible ! Tous mes jours te sont consacrés. Quand mon cœur s’ouvre pour te louer, pour te rendre grâce, alors seulement je goûte la félicité la plus pure que l’homme puisse sentir ; la plus divine, je ne l’éprouvai qu’en toi. Les dieux de la terre se distinguent des autres hommes, autant que le destin suprême se distingue du jugement et de la volonté des hommes même les plus sages. Quand nous voyons flots sur flots se heurter violemment, les princes laissent beaucoup de murmures passer inaperçus à leurs pieds, comme des ondes légères ; ils n’entendent pas l’orage qui gronde autour de nous et nous renverse ; nos prières parviennent à peine à leurs oreilles, et, comme nous le faisons envers de pauvres enfants tenus dans la contrainte, ils nous laissent remplir les airs de soupirs et de cris. Pour toi, ô