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en sorte que mon âme put s’ouvrir et faire entendre d’héroïques accents ; et maintenant, quelques louanges qu’obtienne mon ouvrage, je vous en suis redevable, car il vous appartient.

Alphonse.

Pour la seconde fois, tu mérites tous nos éloges, et, par ta modestie, tu t’honores toi-même et nous avec toi.

Le Tasse.

Oh ! si je pouvais dire comme je sens vivement que je tiens de vous seuls ce que je vous présente ! Le jeune homme obscur a-t-il puisé en lui-même la poésie ? L’habile conduite de la guerre impétueuse, l’a-t-il imaginée ? La science des armes, que chaque héros déploie avec énergie au jour marqué, la sagesse du chef, le courage des chevaliers, la lutte de la ruse et de la vigilance, n’est-ce pas toi, ô sage et valeureux prince, qui m’as tout inspiré, comme un génie, qui mettrait son plaisir à révéler par la voix d’un mortel sa sublime et inaccessible nature ?

La Princesse.

Jouis maintenant de l’œuvre qui fait notre joie.

Alphonse.

Sois heureux du suffrage de tous les nobles cœurs.

Éléonore.

Sois heureux de ta gloire universelle.

Le Tasse.

Cet instant me suffit. Je ne pensais qu’à vous, en méditant et en écrivant ; vous plaire était mon suprême désir ; vous récréer était mon dernier but. Celui qui ne voit pas le monde dans ses amis ne mérite pas que le monde s’occupe de lui. Ici est ma patrie, ici le cercle dans lequel mon âme se plaît à s’arrêter. Ici j’entends, ici je respecte le moindre signe ; ici parle l’expérience, le savoir, le goût : oui, j’ai devant mes yeux le monde présent et le monde à venir. La foule égare et intimide l’artiste : celui qui vous ressemble, celui qui peut comprendre et sentir, celui-là seul doit juger et récompenser.

Alphonse.

Et si nous représentons le monde présent et le monde à venir, nous ne devons pas recevoir froidement ton offrande.