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suaves accents, fait passer dans les âmes les plus intimes et les plus aimables sentiments. Ton esprit élevé embrasse un vaste domaine : je m’arrête plus volontiers dans l’île de la poésie, sous les bosquets de lauriers.

La Princesse.

Dans ce beau pays (on a voulu me l’assurer), plus que les autres plantes, le myrte aime à fleurir. Et, bien que les muses soient nombreuses, on cherche plus rarement à choisir entre elles une amie, une compagne, qu’à rencontrer le poëte, qui semble nous éviter et même nous fuir ; qui semble chercher quelque chose que nous ne connaissons pas, et qu’enfin peut-être il ne connaît pas lui-même. Aussi serait-ce une chose toute charmante, s’il nous rencontrait à l’heure favorable ; si, tout à coup ravi, il nous reconnaissait pour le trésor qu’il avait cherché longtemps en vain dans le vaste univers !

Éléonore.

Je dois me prêter à la plaisanterie ; le trait a porté, il est vrai, mais l’atteinte n’est pas profonde. J’honore en tout homme le mérite, et je ne suis que juste envers le Tasse. Son œil s’arrête à peine sur cette terre ; son oreille saisit l’harmonie de la nature ; ce que fournit l’histoire, ce que présente la vie, son cœur le recueille aussitôt avec empressement ; son génie rassemble ce qui est au loin dispersé, et son sentiment anime les choses inanimées. Souvent il ennoblit ce qui nous paraissait vulgaire, et ce qu’on estime s’anéantit devant lui. Cet homme prodigieux s’avance dans ce cercle magique, qui lui est propre, et nous engage à marcher avec lui, à sentir avec lui : il semble s’approcher de nous, et il en demeure éloigné ; il semble nous regarder, et peut-être, à notre place, lui apparaissent de merveilleux génies.

La Princesse.

Tu as tracé une fine et délicate peinture du poëte, qui plane dans les régions des aimables songes. Mais la réalité me semble aussi l’attirer et le retenir puissamment. Les beaux vers que nous trouvons parfois attachés à nos arbres, et qui, semblables aux pommes d’or, nous représentent, avec ses parfums, un nouveau jardin des Hespérides, ne les reconnais-tu pas tous pour les fruits gracieux d’un véritable amour ?