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tournerai à la cuisine, et resterai des jours entiers assise à mon travail, et te regarderai seulement quelquefois, comme si je voulais dire : « Tu le sais ! » (Guillaume reste muet, au comble de la joie.) Tu pouvais le savoir depuis longtemps ; tu sais aussi comme, après la mort de notre mère, je grandis dès l’enfance et fus toujours avec toi : vois-tu, je sens plus de plaisir à être auprès de toi que de reconnaissance pour tes soins plus que fraternels ! Et peu à peu tu as pris tellement tout mon cœur, toute ma pensée, qu’autre chose a maintenant de la peine à s’y faire une petite place. Je sais bien encore que tu riais quelquefois, quand je lisais des romans. Cela arriva un jour avec Julie Mandeville, et je demandais si Henri (ou comme on l’appelle) ne te ressemblait pas… Tu riais… cela ne me plaisait point… Et je gardai le silence une autre fois. Mais pour moi c’était tout à fait sérieux ; car, tout ce qu’il y avait d’hommes les plus aimables et les meilleurs, je leur prêtais ta figure. Je te voyais te promener dans les grands jardins, et monter à cheval et voyager et te battre en duel… (Elle rit à la dérobée.)

Guillaume.

Qu’as-tu donc ?

Marianne.

Que je l’avoue encore ! Si une dame était bien jolie, et bien bonne, et bien aimée… et bien amoureuse… c’était toujours moi-même. Seulement, à la fin, lorsqu’on en venait au dénoûment, et qu’après toutes les traverses ils se mariaient… Je suis pourtant une bien naïve, bonne et bavarde petite fille !

Guillaume.

Poursuis ! (Il se détourne.) Il faut que j’épuise la coupe de la joie. Soutiens mes forces, Dieu du ciel !

Marianne.

Ce que je pouvais le moins souffrir, c’est lorsque deux personnes s’aimaient, et qu’on découvrait enfin qu’ils étaient parents, ou frère et sœur… Miss Fanny, je l’aurais brûlée ! J’ai tant pleuré ! C’est un sort si lamentable ! (Elle se détourne et pleure amèrement.)

Guillaume, se jetant à son cou.

Marianne !… ma chère Marianne !