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ta sympathie est grande pour ce qui est grand, où tu te retrouves toi-même.

La Princesse.

Tu ne devais pas prêter à cette extrême flatterie le voile de l’intime amitié.

Éléonore.

L’amitié est juste ; elle seule peut apprécier toute l’étendue de ton mérite. Et, s’il te plaît que j’attribue aussi aux circonstances, à la fortune, une part dans ta culture, cependant tu la possèdes ; enfin, voilà ce que tu es ; et le monde t’honore, avec ta sœur, au-dessus de toutes les femmes illustres de votre temps.

La Princesse.

Cela ne peut guère me toucher, Éléonore, quand je réfléchis combien l’on est peu de chose ; et, ce qu’on est, on s’en trouve redevable à d’autres. La connaissance des langues anciennes et des plus beaux ouvrages que nous a laissés l’antiquité, c’est à ma mère que je la dois ; cependant aucune de ses deux filles ne lui fut jamais égale en science, en jugement ; et, si même l’une de nous lui doit être comparée, c’est Lucrèce assurément qui en a le droit. Aussi puis-je te l’assurer, je n’ai jamais regardé comme un titre et comme une propriété, ce que la nature, ce que la fortune m’ont dispensé. Je me félicite, quand les sages parlent, de pouvoir comprendre leurs opinions. Que ce soit un jugement sur un homme de l’antiquité et sur le mérite de ses actions ; que l’on s’entretienne d’une science, qui, développée par l’usage, est utile aux hommes, en les élevant… quelque direction que prenne l’entretien de ces nobles esprits, je le suis volontiers, parce qu’il m’est facile de le suivre. J’assiste avec plaisir aux débats des sages, quand la voix de l’orateur joue agréablement avec les forces, si douces et si terribles, qui agitent le cœur de l’homme ; quand la passion des princes pour la gloire et les conquêtes devient la matière du penseur, et quand la fine politique, ingénieusement développée par un homme habile, au lieu de nous tromper, nous instruit.

Éléonore.

Et puis, après ces sérieux entretiens, notre oreille et notre cœur se reposent doucement aux chants du poëte, qui, par ses