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corps ; elle était la pure image, le limpide miroir de son âme. Elle-même, la bien-aimée, la gracieuse beauté, était plus affable, plus confiante, plus caressante avec mystère.

PROMÉTHÉE.

Une telle métamorphose présage de nouveaux plaisirs.

ÉPIMÉTHÉE.

Elle me donna de nouveaux plaisirs en m’affligeant.

PROMÉTHÉE.

Écoutons ! La douleur naît facilement du plaisir.

ÉPIMÉTHÉE.

Dans le plus beau jour (le monde s’éveillait florissant), je la rencontrai dans le jardin, encore voilée, mais non plus seule ; sur chaque bras elle berçait un gracieux enfant, abrité sous le voile : c’étaient deux filles jumelles. Elle s’approcha, afin que dans ma surprise et ma joie, je pusse la contempler et l’embrasser à souhait.

PROMÉTHÉE.

Ces deux enfants, dis-le moi, étaient-elles diverses ou pareilles ?

ÉPIMÉTHÉE.

Pareilles et diverses : on pouvait dire semblables.

PROMÉTHÉE.

L’une au père, l’autre à la mère, je suppose.

ÉPIMÉTHÉE.

Tu rencontres la vérité, en homme d’expérience. « Choisis, me dit-elle : l’une te sera confiée ; l’autre est réservée à mes soins. Choisis promptement. Tu nommeras celle-ci Épimélie, celle-là Elpore. » Je les regardai. L’une jetait des œillades par-dessous le bord du voile. Quand elle eut rencontré mon regard, elle recula et se cacha dans le sein de sa mère. L’autre, paisible, au contraire, et presque souffrante, dès que sa vue eut trouvé la mienne, regarda fixement de mon côté, arrêta son œil sur le mien avec tendresse, ne le quitta plus et gagna mon cœur. Se penchant vers moi et me tendant les mains, elle s’élançait avec un regard profond, comme ayant besoin d’affection, besoin de secours. Comment aurais-je résisté ? Je pris celle-ci. Je me sentais père : je la pressai contre mon sein, pour écarter de son front la tristesse prématurée. Je m’arrêtai, sans remarquer que