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Guillaume.

Et j’aurais dû le craindre de toi !… Pourquoi n’ai-je pas écouté mon cœur, et ne t’ai-je pas fermé ma maison, comme à tout le monde, dès les premiers jours où je vins ici ? À toi seul je permis l’entrée de ce sanctuaire, et tu sus m’endormir par ta bonté, ton amitié, ton support, ton apparente froideur pour les femmes. De même que j’étais son frère en apparence, je pris tes sentiments à son égard pour la véritable amitié fraternelle ; et, si même un soupçon voulait se glisser parfois dans mon esprit, je le repoussais comme une bassesse ; j’attribuais sa bonté pour toi à ce cœur angélique, qui jette sur le monde entier un regard d’amour… Et toi !… et elle !…

Fabrice.

Je n’en puis écouter davantage, et je n’ai non plus rien à dire. Ainsi donc, adieu ! (Il sort.)

Guillaume.

Va ! va !… tu emportes avec toi tout mon bonheur. Ainsi traversés, brisés, tous mes plans… les plus chers, tout d’un coup… dans l’abîme ! et renversé, le pont d’or, le pont magique, qui devait me faire passer dans les joies du ciel. C’en est fait ! et par lui, le traître, qui abusait ainsi de la franchise, de la confiance… O Guillaume ! Guillaume ! tu t’emportes jusqu’à être injuste envers cet honnête homme !… Quel crime a-t-il commis ?… Tu pèses durement sur moi, et tu es juste, sort vengeur !… Pourquoi restes-tu là ? Et toi ? Juste en ce moment !… Pardonnez-moi ! N’en ai-je pas souffert ? Pardonnez !… Il y a longtemps !… J’ai souffert des maux infinis. Je paraissais vous aimer ; je croyais vous aimer ; par d’imprudentes complaisances, j’ouvrais votre cœur et vous rendais malheureux !… Pardonnez-moi ! laissez-moi !… Dois-je être ainsi puni ?… Dois-je perdre Marianne, la dernière de mes espérances, l’unique objet de mes soucis ?… C’est impossible ! c’est impossible ! (Il reste en silence. Entre Marianne.)

Marianne. Elle s’approche avec embarras.

Mon frère !

Guillaume.

Ah !