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BRÊME.

Toi, innocente ? misérable ! fille perdue ! honte de ton père ! tache éternelle sur l’habit d’honneur qu’il vient de revêtir dans ce moment ! Lève-toi, cesse de pleurer, ou je te traîne par les cheveux loin du seuil que tu ne devrais plus passer sans rougir. Comment ! à l’heure où Brême s’élève au rang des plus grands hommes de la terre, sa fille se dégrade à ce point !

CAROLINE.

Ne me repoussez pas, ne me rejetez pas, mon père ! Il m’a fait les plus saintes promesses.

BRÊME.

Ne m’en parle pas ; je suis hors de moi. Quoi ? Une fille qui devrait se conduire comme une princesse, comme une reine, s’oublier complétement ? J’ai peine à me retenir de te battre à coups de poing, de te fouler sous mes pieds. Entre ici ! (Il la pousse dans sa chambre à coucher.) Ce cadenas français te gardera bien. De quelle fureur je me sens transporté ! Ce serait la vraie disposition pour sonner la cloche… Mais non, Brême, possède-toi !… Réfléchis que les plus grands hommes ont éprouvé mainte disgrâce dans leurs familles. Ne rougis pas d’une fille impudente, et songe que l’empereur Auguste, dans le temps même où il gouvernait le monde avec sagesse et puissance, versait des larmes amères sur les déportements de sa fille Julie. Ne rougis pas de pleurer de ce qu’une fille pareille t’a trompé ; mais songe aussi, en même temps, que le but est atteint, que l’ennemi enfermé se désespère, et qu’une heureuse issue attend ton entreprise.



Scène VI.

Une salle du château, éclairée aux bougies.


FRÉDÉRIQUE, JACQUES.
Frédérique tient une carabine rayée, Jacques un fusil.
FRÉDÉRIQUE.

C’est cela, Jacques : tu es un brave garçon. Si tu me répares bien le fusil, en sorte qu’au premier coup d’œil, il ne me rappelle pas ce pédant, tu auras une bonne récompense.