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ALBERT.

Il vous donne un courage !

BRÊME, au Gouverneur.

Eh ! cher maître, les mérites que vous acquerrez cette nuit ne resteront pas sans récompense. Nous travaillons aujourd’hui pour la patrie tout entière. C’est de notre village que se lèvera le soleil de la liberté ! Qui l’aurait imaginé ?

LE GOUVERNEUR.

Ne craignez-vous aucune résistance ?

BRÊME.

Nous y avons pourvu. Le bailli et les huissiers seront d’abord arrêtés ; le conseiller s’en va ; les deux ou trois domestiques ne diront pas un mot, et le baron est le seul homme qui reste au château : je l’attire dans ma maison par le moyen de ma fille, et je l’enferme jusqu’à ce que tout soit fini.

MARTIN.

Bien imaginé.

LE GOUVERNEUR.

J’admire votre habileté !

BRÊME.

Allez, allez, quand l’occasion s’offrira de la montrer, vous en verrez bien davantage, surtout pour ce qui regarde les affaires étrangères. Croyez-moi, il n’y a rien au-dessus d’un bon chirurgien, surtout si, à côté de cela, il est un habile barbier. Le peuple ignorant jase beaucoup sur les écorche-barbe, et ne réfléchit pas comme c’est une grande affaire de raser quelqu’un sans l’écorcher. Croyez-moi seulement, il n’est rien où tant de politique soit nécessaire, que pour faire la barbe aux gens, pour leur enlever ces hideuses et barbares excroissances de la nature, ces poils de barbe, dont elle salit chaque jour les mentons humains, et rendre ainsi l’homme semblable, par la figure et les mœurs, à une femme aux joues polies, à un aimable et tendre adolescent. Si j’en viens un jour à écrire ma vie et mes opinions, on admirera la théorie du rasoir, de laquelle je prétends déduire à la fois toutes les règles de la vie et de la sagesse.

LE GOUVERNEUR.

Vous êtes une tête originale !