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fais souvent ce chemin avec beaucoup de satisfaction. C’est un parfait remède contre l’hypocondrie de se faire secouer de la sorte.

LA COMTESSE.

Voilà, je l’avoue, un singulier traitement !

LE BAILLI.

Et en vérité, comme, précisément à raison de ce procès, qui se poursuit avec la plus grande activité devant la chambre impériale, on n’a pu, depuis une année, songer à aucune réparation de route ; qu’en outre les transports de bois sont nombreux, et que, dans ces derniers jours, il a fait aussi des pluies continuelles, une personne accoutumée aux bonnes chaussées pourrait bien trouver les nôtres, en quelque façon, impraticables.

LA COMTESSE.

En quelque façon ! Il me semble qu’elles le sont tout à fait.

LE BAILLI.

Il plaît à Votre Excellence de badiner. On finit toujours par avancer.

LA COMTESSE.

Si l’on ne reste pas en place. Enfin j’ai mis six heures pour faire un mille.

LE BAILLI.

Il y a quelques jours, j’en ai mis encore davantage. Deux fois je me suis tiré d’affaire heureusement ; la troisième fois, une roue a cassé, et j’ai dû me faire traîner ainsi. Mais, avec tous ces accidents, j’étais joyeux et j’avais bon courage ; car je songeais que les droits de Votre Excellence et de monseigneur votre fils étaient sauvés. À parler franchement, j’aimerais mieux rouler d’ici à Paris sur de pareils chemins, que de céder seulement l’épaisseur du doigt, quand les droits et prérogatives de mon noble seigneur sont contestés. Je voudrais donc que Votre Excellence pensât de même : assurément elle n’aurait pas fait ce chemin avec autant de déplaisir.

LA COMTESSE.

Je dois vous dire que je pense autrement, et que, si ces biens m’appartenaient en propre, si je ne devais pas me considérer simplement comme gouvernante, je passerais sur maintes difficultés ; j’écouterais mon cœur, qui me commande l’équité, et