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arrivée hier au chemin abominable qui commence justement à la limite de mes possessions. J’ai fait ce grand voyage, presque tout entier, sur de bonnes routes, et, précisément quand j’arrive sur mes terres, je les trouve non-seulement plus mauvaises que l’an passé, mais si détestables, qu’elles réunissent tous les défauts d’une mauvaise chaussée. Tantôt des ornières profondes, où la voiture menace de verser, et d’où les chevaux la tirent à peine avec toutes leurs forces ; tantôt des pierres amoncelées sans ordre, en sorte que, pendant un quart de lieue, même dans la voiture la plus douce, on est secoué de la façon la plus insupportable. Je serais surprise qu’il n’y eût rien de gâté.

LE BAILLI.

Votre Excellence ne me condamnera pas sans m’avoir entendu : c’est uniquement mon zèle ardent à ne pas céder la moindre partie des droits de Votre Excellence, qui est la cause du mauvais état de la route.

LA COMTESSE.

Je comprends…

LE BAILLI.

Vous me permettez de laisser juger à votre profonde pénétration, combien il eût été peu convenable que je cédasse, seulement de l’épaisseur d’un cheveu, à ces paysans rebelles. Ils sont obligés de réparer la route, et, comme Votre Excellence a ordonné une chaussée, ils sont aussi tenus de faire la chaussée.

LA COMTESSE.

Quelques communes étaient pourtant bien disposées.

LE BAILLI.

C’est justement là le malheur. Elles ont amené les pierres ; mais, les communes rebelles ayant refusé d’agir, et rendu les premières rebelles à leur tour, les pierres restèrent sur la place et furent peu à peu, soit par nécessité soit par malice, jetées dans les ornières, et le chemin en est devenu, à vrai dire, un tant soit peu inégal.

LA COMTESSE.

Vous appelez cela un peu inégal ?

LE BAILLI.

Votre Excellence me pardonnera, si je lui dis même que je