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LOUISE.

Nous dûmes tout conter bien vite, afin qu’elle ne supposât pas quelque chose de plus fâcheux ; nous dûmes la conduire auprès de l’enfant, qui était couché, la tête bandée et les habits ensanglantés. Nous n’avions songé qu’aux compresses, et n’avions pu le déshabiller.

LE BAILLI.

Ce dut être un affreux spectacle.

LOUISE.

Elle jeta les yeux sur son fils, poussa un grand cri, et tomba sans connaissance dans mes bras. Quand elle reprit ses sens, elle était inconsolable, et nous eûmes toutes les peines du monde à lui persuader que l’enfant ne s’était fait qu’une forte contusion, qu’il avait saigné du nez, et qu’il n’y avait aucun danger.

LE BAILLI.

Je ne voudrais pas être à la place du gouverneur, qui néglige ainsi cet aimable enfant.

LOUISE.

J’ai admiré la douceur de la comtesse, surtout en le voyant traiter l’accident avec plus de légèreté qu’il ne lui convenait dans ce moment.

LE BAILLI.

Elle est beaucoup trop bonne, beaucoup trop indulgente.

LOUISE.

Mais elle connaît ses gens et observe tout. Elle sait qui la sert honnêtement et fidèlement ; elle sait celui qui n’est qu’en apparence son très-humble serviteur ; elle connaît les négligents aussi bien que les hypocrites, les imprudents aussi bien que les méchants.

LE BAILLI.

Vous n’en dites pas trop : c’est une excellente dame, mais, justement à cause de cela… le gouverneur mériterait qu’elle lui donnât tout uniment son congé.

LOUISE.

Dans tout ce qui touche le sort de l’homme, elle procède avec lenteur, comme il sied à un grand. Rien n’est plus redoutable que le pouvoir et la précipitation.