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MARTIN.

Qui donc doit venir encore ?

BRÊME.

Tous nos bons amis, tous les gens capables. Après vous, qui êtes le maire de l’endroit, viendront encore Pierre, le maire de Rosenhahn, et Albert, le maire de Wiesengrouben. J’espère que nous verrons aussi Jacques, qui possède ce joli franc-alleu. Alors seront réunies assez de personnes distinguées et raisonnables pour être en état d’exécuter quelque chose.

MARTIN.

Compère Brême, vous êtes un homme singulier : tout vous est égal, la nuit et le jour, le jour et la nuit, l’été et l’hiver.

BRÊME.

Oui, et, s’il n’en était pas ainsi, rien n’irait comme il faut. Veiller ou dormir, cela m’est parfaitement égal. Après la bataille de Leuthen, où nos hôpitaux se trouvaient en mauvais état, ils se seraient trouvés assurément dans un état bien pire encore, si, dans ce temps-là, Brême n’avait pas été un jeune et robuste gaillard. Il y avait là force blessés, force malades, et tous les chirurgiens étaient vieux et harassés ; mais Brême, jeune et vigoureux compagnon, était prêt jour et nuit. Je vous dis, compère, que j’ai veillé toute une semaine sans dormir pendant le jour. Il le remarqua aussi le vieux Fritz[1], qui savait tout ce qu’il voulait savoir. « Écoute, Brême, dit-il un jour, comme il visitait l’hôpital en propre personne, écoute, Brême, on dit que tu es malade d’insomnie… » Je vis bien où il en voulait venir, car tous les autres étaient là ; je me recueillis et je dis : « Sire, c’est une maladie que je souhaite à tous vos serviteurs ; et, comme elle ne laisse aucune fatigue, et que je puis encore faire mon service pendant le jour, j’espère que Votre Majesté ne me fera pas subir pour cela sa disgrâce. »

MARTIN.

Hé ! hé ! comment donc le roi prit-il cela ?

BRÊME.

Il parut tout à fait sérieux ; mais je vis bien que cela lui plut. « Brême, dit-il, à quoi donc passes-tu le temps ? » Je repris

  1. Nous conservons la forme familière, au lieu de Frédéric.