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et ne voit rien de lui. Et elle l’a aimé par-dessus tout. Mon mari n’en finissait pas, quand il commençait à parler d’eux. Et puis, je le dis moi-même, il n’y a plus au monde de cœur pareil à celui-là. Tous les ans, le jour où elle le vit pour la dernière fois, elle ne reçoit âme qui vive ; elle s’enferme, et d’ailleurs, quand elle parle de lui, cela vous perce le cœur.



MADAME SOMMER.

L’infortunée !

LA MAÎTRESSE DE POSTE.

On dit bien des choses là-dessus.

: MADAME SOMMER.

Expliquez-vous !

LA MAÎTRESSE DE POSTE.

On ne le dit pas volontiers.

MADAME SOMMER.

Je vous en prie.

LA MAÎTRESSE DE POSTE.

Si vous promettez de ne pas me trahir, je puis vous le confier. Il y a plus de huit ans aujourd’hui qu’ils vinrent ici. Ils achetèrent le fief. Personne ne les connaissait. On les appelait monsieur et madame, et on le tenait pour un officier, qui s’était enrichi au service étranger, et qui voulait se retirer. Elle était alors dans la fleur de la jeunesse, âgée au plus de seize ans, et belle comme un ange.

LUCIE.

Elle n’aurait donc aujourd’hui pas plus de vingt-quatre ans ?

LA MAÎTRESSE DE POSTE.

Elle a, pour son âge, éprouvé assez de chagrins. Elle eut un enfant, qui lui mourut bientôt. Son tombeau est dans le jardin, un simple tombeau de gazon, et, depuis que monsieur est parti, elle a établi auprès une retraite solitaire, et a fait préparer son propre tombeau. Feu mon mari était vieux et difficile à émouvoir, mais il ne contait rien avec plus de plaisir que la félicité des deux époux, aussi longtemps qu’ils vécurent ici ensemble. On se sentait tout autre, disait-il, rien qu’à voir comme ils s’aimaient.

MADAME SOMMER.

Mon cœur se porte vers elle.