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que, sans les consulter, sans demander leur avis, tu te sois tout uniment sacrifié, comme un enfant étourdi court sur la place jeter son argent contre des noix véreuses ?



CLAVIJO.

Ce que tu dis, Carlos, est malhonnête et exagéré.

CARLOS.

Pas d’une virgule. Qu’un homme fasse par passion une extravagance, à la bonne heure ! Qu’il épouse une femme de chambre, parce qu’elle est belle comme un ange : c’est fort bien. Il sera blâmé, et cependant les gens lui porteront envie !

CLAVIJO.

Les gens ! toujours les gens !

CARLOS.

Tu sais que je tiens assez peu à l’approbation d’autrui, et pourtant il sera toujours vrai que celui qui ne fait rien pour les autres ne fait rien pour lui, et que, si les hommes ne t’admirent’ ou ne t’envient, tu n’es pas non plus heureux.

CLAVIJO.

Le monde juge sur l’apparence. Ah ! l’on doit envier celui qui possède le cœur de Marie.

CARLOS.

Telle est la chose, telle est aussi l’apparence. Mais sans doute il faut, me disais-je, qu’il y ait des qualités secrètes, qui rendent ton bonheur digne d’envie ; car, pour ce qu’on voit de ses yeux, ce que l’on peut comprendre avec son sens commun….

CLAVIJO.

Tu veux me désespérer !

CARLOS.

Comment cela s’est-il fait ? demandera-t-on dans la ville. Comment cela s’est-il fait ? demande-t-on à la cour. Pour l’amour du ciel, comment cela s’est-il fait ? Elle est pauvre, sans naissance ; si Clavijo n’avait eu par hasard une fantaisie pour elle, on ne saurait pas du tout qu’elle est au monde. Elle doit être gentille, agréable, spirituelle…. Qui prendra une femme pour cela ? Cela passe si vite dans les premiers temps du mariage ! « Ah ! dit quelqu’un, elle doit être belle, ravissante,