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CLAIRE. Je ne saurais me retrouver dans le monde…. Mais elle a aussi un esprit viril ; c’est une autre femme que nous, couturières et cuisinières. Elle est grande, courageuse, résolue.

EGMONT.

Oui, quand les affaires ne sont pas trop embrouillées. Cependant, cette fois, elle est un peu déconcertée.

CLAIRE.

Comment donc ?

EGMONT.

Elle a aussi une petite moustache et quelquefois une attaque de goutte. C’est une vraie amazone.

CLAIRE.

Une femme majestueuse ! J’aurais peur de paraître devant elle.

EGMONT.

Tu n’es pourtant pas peureuse…. Et ce ne serait pas frayeur, mais seulement pudeur de jeune fille. ( Claire baisse les yeux, prend la main d’Egmont et se penche vers lui. ) Je te comprends, chère enfant ! Tu peux lever les yeux. (Il lui donne un baiser sur les yeux.)

CLAIRE.

Laisse-moi me taire ! Laisse-moi te posséder ! Laisse-moi fixer mes yeux sur les tiens, y trouver tout, consolation, espérance, joie et douleur. ( Elle l’embrasse et le regarde fixement. ) Dis-moi, dis, je ne puis comprendre…. Es-tu Egmont ? le comte d’Egmont ? le grand Egmont, qui fait tant de bruit, de qui l’on parle dans les gazettes, auquel s’attendent les provinces ?

EGMONT.

Non, Claire, je ne suis pas cet Egmont.

CLAIRE.

Comment ?

EGMONT.

Vois-tu, ma petite Claire…. Que je m’asseye. (Il s’assied ; elle se met à genoux devant lui sur un tabouret, s’appuie sur Egmont et le regarde. ) Cet autre Egmont est un Egmont chagrin, contraint, glacé, obligé de s’observer, de prendre tantôt un visage tantôt un autre ; tourmenté, méconnu, embarrassé, tandis que les gens le croient jbyeux et content ; aimé par un peuple qui ne