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que je rêve à ce qui était hier ? pour deviner et arranger ce qui ne se devine ni ne s’arrange, le hasard d’un lendemain ? Faismoi grâce de ces réflexions ; nous les laisserons aux écoliers et aux courtisans. Qu’ils pensent et qu’ils imaginent ; qu’ils aillent et qu’ils s’insinuent ; qu’ils arrivent où ils pourront ; qu’ils attrapent ce qu’ils pourront…. Si tu peux tirer parti de tout cela, sans que ton épître devienne un volume, j^en suis charmé. Ce bon vieillard met trop d’importance à tout. C’est ainsi qu’un ami, qui a tenu longtemps notre main, la serre encore une fois, avec plus de force, lorsqu’il va la quitter.

1. Les Gueux.



RICHARD.

Pardonnez-moi ! Un piéton a le vertige, lorsqu’il voit passer un homme en voiture avec une bruyante vitesse.

EGMONT.

Enfant ! enfant ! assez ! Comme aiguillonnés par des esprits invisibles, les chevaux du soleil emportent le char léger de notre destinée, et il ne nous reste qu’à tenir bravement les rênes d’une main ferme et à détourner les roues, tantôt à droite, tantôt à gauche, ici d’une pierre, là d’un précipice. Où nous allons, qui le sait ? A peine se souvient-on d’où l’on est venu.

RICHARD.

Monseigneur !…

EGMONT.

Je suis placé bien haut, et je puis et je dois monter plus haut encore : je sens en moi l’espérance, le courage et la force. Je n’ai pas encore atteint le faîte de ma croissance ; et, si j’y parviens une fois, je veux m’y tenir ferme, et non en tremblant. Si je dois tomber, que ce soit un coup de tonnerre, un tourbillon, et même un faux pas, qui me précipite dans l’abîme. J’y serai couché avec des milliers d’hommes. Je n’ai jamais dédaigné, avec mes braves camarades, le jeu sanglant des combats pour un faible avantage ; et je pourrais chanceler, quand il s’agit de l’entière et franche valeur de la vie ?

RICHARD.

O monseigneur, vous ne savez pas quelles paroles vous prononcez. Que Dieu vous garde !

EGMONT.

Rassemble tes papiers. Voici Orange. Expédie le plus nécessaire,