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MARTIN.

Je vous en dis autant.

GŒTZ.

Qu’avez-vous, frère, à me regarder ainsi ?

MARTIN.

C’est que je suis amoureux de votre armure.

GŒTZ.

Auriez-vous envie d’en avoir une ? C’est lourd et pénible à porter.

MARTIN.

Qu’est-ce qui n’est pas pénible dans ce monde ? Et je n’imagine rien de plus pénible que de n’oser être homme. Pauvreté, chasteté et obéissance… trois vœux, dont chacun, considéré à part, semble ce qu’il y a de plus insupportable à la nature, tant ils sont insupportables tous trois ! Et gémir découragé toute sa vie, sous ce fardeau ou sous le poids, bien plus accablant, du remords ! Ah ! monseigneur, que sont les fatigues de votre vie, auprès des misères d’un état qui, par un désir mal entendu d’approcher de Dieu, condamne les meilleurs penchants, auxquels nous devons la vie, l’accroissement et le succès ?

GŒTZ.

Si votre vœu n’était pas aussi sacré, je vous conseillerais d’endosser une cuirasse ; je vous donnerais un cheval, et nous irions courir ensemble.

MARTIN.

Plût à Dieu que mes épaules se sentissent la force de porter la cuirasse, et mon bras celle de renverser de cheval un ennemi !… Pauvre, faible main, dès longtemps accoutumée à porter les croix et les bannières de paix et à balancer l’encensoir, comment voudrais-tu manier la lance et l’épée ? Ma voix, qui ne sait que psalmodier des ave et des alleluia, serait chez l’ennemi le héraut de ma faiblesse, tandis que vos accents le mettraient en fuite. Sans cela, aucun vœu ne m’empêcherait de rentrer dans l’ordre que mon Créateur lui-même a fondé.

GŒTZ.

À l’heureux retour !

MARTIN.

Cette santé, je ne la bois que pour vous. Le retour dans