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572 DIVAN.

vironne ; si Leila et Medschnoun ressuscitaient, ils apprendraient de moi le chemin de l’amour.


Est-il possible, ô mon amie, que je te couvre de baisers ? Est-ce que j’entends le son de ta voix divine ? La rose semble toujours impossible, inconcevable le rossignol.

Souleika.

Comme je voguais sur l’Euphrate, l’anneau d’or que j’ai reçu de toi naguère glissa de mon doigt dans l’eau profonde.

Voilà ce que j’ai rêvé. L’aurore brillait dans mes yeux à travers les arbres ; parle, poëte, parle, prophète, que veut dire ce songe ?

Hatem.

Je suis prêt à l’expliquer. Ne t’ai-je pas conté souvent comme le doge de Venise se marie avec la mer ?

C’est ainsi que l’anneau est tombé de ton doigt dans l’Euphrate. Ô doux songe, tu m’inspires mille chants célestes !

Moi, qui courais de l’Indostan à Damas, pour me rendre à la Mer Rouge avec la nouvelle caravane,

Tu me maries avec ton fleuve, avec cette terrasse, avec ce bocage ; ici mon âme te sera dévouée jusqu’au dernier baiser.


Je connais bien les regards des hommes ; ils disent : « J’aime, je languis, je désire, même je désespère ! » Et mille choses, qu’une jeune fille connaît. Tout cela m’est inutile ; tout cela ne peut me toucher. Mais, Hatem, tes regards donnent seuls au jour la lumière, car ils disent : « Elle me plaît comme nulle chose ne saurait me plaire : je vois des roses, je vois des lis, honneur et ornement de tous les jardins ; puis des cyprès, des myrtes, des violettes, qui naissent pour la parure de la terre ; et elle est merveilleusement parée, elle nous environne de surprises, nous récrée, nous restaure, nous bénit, si bien que l’on se sent guéri, et que l’on voudrait retomber malade…. » Tu vis Souleika, et tu trouvas la santé dans la maladie et la maladie dans la santé ; tu souris en regardant de mon côté, comme jamais