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Et le poëte, pourquoi ne craint-il pas de se mêler avec ces gens-là ?…

Sait-il donc quel monde il fréquente, lui dont la vie entière est un délire ? Un capricieux amour le pousse dans le désert sans bornes ; ses poétiques plaintes, écrites sur le sable, sont d’abord emportées par le vent, il ne comprend pas ce qu’il dit : ce qu’il dit, il ne le tiendra pas.

Mais on tolère sa chanson, bien qu’elle contredise le Coran. À vous, lumières de la loi, sages, pieux et savants hommes, à vous d’enseigner le devoir certain des fidèles Musulmans.

Hafiz surtout cause du scandale ; Mirza[1] plonge l’esprit dans le doute : dites ce qu’on doit faire, ce qu’on doit éviter.

Fetva[2].

Hafiz, dans ses esquisses poétiques, exprime la vérité certaine, ineffaçable, mais aussi çà et là des bagatelles qui sortent des limites de la loi. Veux-tu marcher sûrement, sache distinguer de la thériaque le venin de serpent : mais s’abandonner avec un joyeux courage à la volupté pure d’une noble action, et se garder avec prudence de celle qui n’a d’autre suite qu’une peine éternelle, est sans doute le meilleur pour ne pas faillir. C’est là ce que nous a écrit le pauvre Ébousound[3]. Que Dieu lui pardonne tous ses péchés !

L’Allemand remercie.

Saint Ébousound, tu as bien répondu : voilà les saints que le poëte désire ! Car ces bagatelles, qui sortent des limites de la loi, sont justement l’héritage où il se donne carrière avec audace, joyeux même dans le chagrin. Venin de serpent et thériaque doivent lui sembler pareils ; ni l’un ne tue ni l’autre ne guérit, car la vie véritable est une activité toujours innocente, qui se déploie de manière à ne blesser personne qu’elle-même. Ainsi le vieux poëte peut espérer que les houris le recevront

  1. Poëte persan.
  2. Décision juridique, qui fait règle en matière de droit ou de croyance.
  3. Ébousound (nous suivons l’orthographe de Hammer) fut consulté, en effet, comme mufti, par les hommes de loi de Constantinople, pour savoir si le Divan de Hafiz était l’expression des secrets de Dieu.