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POÉSIES ALLEMANDES

« Oh ! il joue divinement bien ! » murmura une demoiselle, animée par une tasse de thé bien sucré.

Et je ne sais comment il se fit que son bras se trouva passé dans le mien, et je la conduisis, ou plutôt elle m’entraîna dans la salle voisine. Berger faisait alors mugir le plus furieux ouragan ; ses accords puissants s’élançaient et retombaient comme les vagues d’une mer en furie : cela me fit du bien. Julie se trouvait à mon côté et me disait de sa voix d’autrefois, la plus douce et la plus tendre :

« Je voudrais te voir au piano, chantant l’espérance et le bonheur qui sont passés ! »

L’ennemi s’était retiré de moi, et dans ce seul mot : Julie j’aurais voulu exprimer toute la félicité du ciel qui me revenait. D’autres personnes, en passant entre nous, m’éloignèrent d’elle. Il était clair qu’elle m’évitait maintenant ; mais je parvins tantôt à respirer sa douce haleine, tantôt à effleurer son vêtement, et l’aimable printemps, que j’avais cru à jamais passé, ressuscitait, paré de couleurs éclatantes. Berger avait laissé s’abattre la tempête ; le ciel s’était éclairci, et, semblables aux petits nuages dorés du matin, de vaporeuses mélodies nageaient mollement dans le pianissimo.

Le virtuose reçut, en terminant, des applaudissements unanimes et bien mérités ; puis l’assemblée se mêla confusément, de sorte que je me retrouvai auprès de Julie. J’avais l’esprit animé, je voulus la saisir, l’embrasser, dans le transport de ma douloureuse passion ; mais la maudite figure d’un valet importun surgit tout à coup entre nous deux.

« Peut-on vous offrir ?… » nous dit-il d’une voix désagréable, en présentant un vaste plateau.

Au milieu des verres, remplis d’un punch fumant, s’élevait une coupe artistiquement ciselée, remplie de la même liqueur, à ce qu’il paraissait. Comment cette coupe se trouva parmi ces verres, c’est ce que sait mieux que moi celui que j’apprends de plus en plus à connaître ; celui qui, en marchant, décrit toujours avec son pied, comme