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Je ne prends point de repos qu’ils ne s’y soient accoutumés. Trois mois s’écoulent, et, lorsque je les vois bien dressés, je m’embarque avec eux sur un vaisseau rapide. Arrivé ici depuis trois jours, j’ai pris à peine le temps nécessaire pour reposer mes membres fatigués jusqu’au moment de l’entreprise.

« Mon cœur fut vivement touché des nouveaux désastres de ce pays, que j’appris à mon arrivée ; de la mort surtout de ces bergers qui s’étaient égarés dans la forêt et qu’on retrouva déchirés ; je ne pris plus dès lors conseil que de mon courage, et je résolus de ne pas différer plus longtemps. J’en instruisis soudain mes écuyers, je montai sur mon bon cheval, et, accompagné de mes chiens fidèles, je courus, par un chemin détourné et en évitant tous les yeux, à la rencontre de l’ennemi.

« Vous connaissez, seigneur, cette chapelle élevée par un de vos prédécesseurs sur le rocher d’où l’on découvre toute l’île : son extérieur est humide et misérable, et cependant elle renferme une merveille de l’art : la sainte Vierge et son fils, adoré par les trois rois. Le pèlerin, parvenu au faîte du rocher par trois fois trente marches, se repose enfin près de son Créateur, en contemplant avec satisfaction l’espace qu’il a parcouru.

« Il est au pied du rocher une grotte profonde, baignée des ilôts de la mer voisine, où jamais ne pénètre la lumière du ciel ; c’est là qu’habitait le reptile et qu’il était couché nuit et jour, attendant sa proie : ainsi veillait-il comme un dragon de l’enfer au pied de la maison de Dieu, et, si quelque pèlerin s’engageait dans ce chemin fatal, il se jetait sur lui et l’emportait dans son repaire.

« Avant de commencer l’effroyable combat, je gravis le rocher, je m’agenouille devant le Christ, et, ayant purifié mon cœur de toute souillure, je revêts dans le sanctuaire mes armes éclatantes : j’arme ma droite d’une lance, et je descends pour combattre. Puis, laissant en arrière mes écuyers, à qui je donne mes derniers ordres, je m’élance sur mon cheval en recommandant mon âme à Dieu.