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« pas été envoyés à la terre comme libérateurs, pour l’affranchir de tous ses maux et de tous ses ennemis ? Cependant, la sagesse doit guider leur courage, et l’adresse suppléer à la force. » Ainsi me parlais-je souvent, et je cherchais seul à reconnaître les lieux habités par le monstre ; enfin mon esprit m’offrit un moyen de l’attaquer, et je m’écriai, plein de joie : « Je l’ai trouvé ! »

« Et, me présentant à vous, je vous témoignai le désir de revoir ma patrie ; vous accédâtes à ma prière ; je fis une heureuse traversée, et, de retour à peine dans mon pays, je fis exécuter par un habile ouvrier l’image fidèle du dragon. C’était bien lui : son long corps pesait sur des pieds courts et difformes ; son dos se recouvrait horriblement d’une cuirasse d’écailles.

« Son col était d’une longueur effrayante et sa gueule s’ouvrait pour saisir ses victimes, hideuse comme une porte de l’enfer, armée de dents qui éclataient blanches sur le gouffre sombre de son gosier et d’une langue aiguë comme la pointe d’une épée ; ses petits yeux lançaient d’affreux éclairs, et, au bout de cette masse gigantesque, s’agitait la longue queue en forme de serpent dont il entortille les chevaux et les hommes.

« Tout cela, exécuté en petit et peint d’une couleur sombre, figurait assez bien le monstre, moitié serpent, moitié dragon, au sein de son marais empoisonné ; et, quand tout fut terminé, je choisis deux dogues vigoureux, agiles, accoutumés à chasser les bêtes sauvages ; je les lançai contre le monstre, et ma voix les excitait à le mordre avec fureur de leurs dents acérées.

« Il est un endroit où la poitrine de l’animal dégarnie d’écailles ne se recouvre que d’un poil léger : c’est là surtout que je dirige leurs morsures ; moi-même, armé d’un trait, je monte mon coursier arabe et d’une noble origine, j’excite son ardeur en le pressant de mes éperons, et je jette ma lance à cette vaine image, comme si je voulais la percer.

« Mon cheval se cabre effrayé, hennit, blanchit son mors d’écume, et mes dogues hurlent de crainte à cette vue…