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Heine est, parmi les nouveaux poëtes lyriques, le dernier du temps ancien et le premier de notre ère moderne, et il a éclipsé bien des réputations à demi évanouies. À côté de lui, le professeur Ruckert, à Halle, s’est fait une réputation fondée sur ses chants orientaux, sur ses traductions classiques des chants arabes et sur sa nouvelle forme empruntée à l’Orient. Ruckert penche pour l’école de Schiller ; il est réflectif, didactique même. Uhland, il est vrai, avait raillé dans un poëme cette forme surannée ; mais Ruckert n’en tint pas compte. Seulement, il se plaît trop dans les comparaisons orientales, et finit par cacher sa pensée sous un bouquet de roses et de lis cueillis dans l’Orient. Il a traduit la célèbre épopée Nal et Damayanti, chef-d’œuvre indou, et a successivement publié Roses et Fleurs de l’Orient, les proverbes de sagesse des brames et quelques recueils de sonnets de lui. Ruckert est original, mais nullement populaire. Chamisso, le Français, sut encore prendre une petite place dans le Parnasse lyrique de l’Allemagne. Chamisso a fait quelques chansons qui se distinguent par la finesse de l’observation et du sentiment, et par cet excès d’ironie qui lui est particulier. Il est beaucoup plus allemand dans ses poésies que dans sa prose. Tous ces poëtes existaient avant Heine, qui tout d’un coup apparut comme le représentant de vœux nouveaux. Bientôt la lyrique changea de forme ; car, tandis que l’école de Souabe imitait Uhland par de petites compositions sans couleur et sans caractère (et il faut nommer ici Gustave Schwab, les frères Stœber, etc.), du bout de l’Allemagne commencèrent à retentir des chants de liberté et même de critique philosophique. Nous ne voulons pas désigner Berlin, car jamais Berlin n’a produit un poëte. Mais c’est l’Autriche qui donna le mouvement pour quelque temps ; l’Autriche, dis-je, et bien malgré elle. C’est ainsi que le comte Auersberg composa ses Promenades de Vienne, qui ne sont rien que des chants de liberté, et ce fut ce petit livre qui fonda sa réputation. Il a écrit sous le nom d’Anastasius Grün ; son talent est plutôt épique que lyrique ; mais il a de l’énergie dans l’expression et dans la pensée.