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la regarder, il pensait que sa servante même, introduite par lui, devait trouver place, sans nulle difficulté, dans le cercle le plus brillant. Comme musicienne, Émilie servait souvent à le distraire ; elle avait de temps en temps l’honneur de l’endormir, avec un air, au retour de la chasse ; et, s’étant aperçue qu’il n’était pas insensible à la musique, elle en tirait parti pour adoucir quelquefois les agitations auxquelles son humeur sombre le rendait si sujet. Au total, on pouvait la regarder comme une espèce de favorite. C’était à sa médiation qu’avaient coutume de recourir les domestiques et tenanciers qui avaient encouru le déplaisir de leur maître ; elle était la compagne privilégiée qui pouvait impunément approcher le lion rugissant. Elle lui parlait sans crainte ; et, comme ses prières partaient toujours d’un bon cœur et d’une âme désintéressée, même en la refusant, M. Tyrrel adoucissait encore la sévérité de ses traits et se contentait de sourire de sa présomption.

Telle avait été pendant quelques années la situation de miss Melville : traitée avec tant de clémence par son farouche protecteur, elle avait fermé les yeux sur ce qu’il y avait de précaire dans sa destinée. Mais depuis l’établissement de M. Falkland dans le voisinage, le caractère toujours brutal de M. Tyrrel avait pris un nouveau degré de férocité. Depuis ce temps, il arrivait souvent que la pauvre cousine était traitée plus rudement qu’à l’ordinaire ; les petits soins et les badinages qu’elle avait coutume d’employer ne réussissaient plus de même, et quel-