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lui. La seule personne de la famille dont il soit nécessaire de parler était miss Emily Melville, fille orpheline d’une tante paternelle de M. Tyrrel, demeurant dans la maison, et qui dépendait entièrement de la bienveillance des maîtres.

Mistress Tyrrel se figurait qu’il n’y avait rien au monde d’aussi précieux que son charmant Barnabas. Rien ne lui était refusé ; chacun devait obéir servilement à ses volontés ; il n’était pas fait pour être assujetti à aucune gêne, à aucune règle pour son instruction : aussi ses progrès furent-ils fort lents, même pour la lecture et l’écriture. Il était né très-robuste et très-brutal ; tant qu’il resta confiné dans la ruelle de sa mère, il avait tout l’air d’un petit lionceau qu’un sauvage amoureux donnerait en place d’épagneul à sa maîtresse.

Mais il rompit bientôt ses lisières, et il se lia intimement avec le groom et le garde-chasse. Sous ces deux instructeurs, il montra d’aussi heureuses dispositions qu’il avait fait voir d’indocilité et de répugnance sous le pédant qui lui servait de précepteur. Il était dès lors bien évident qu’il ne fallait pas attribuer à un défaut d’intelligence son peu de progrès dans les belles-lettres. On ne put lui refuser une sagacité peu commune dans l’art des maquignons. Distingué par une habileté supérieure à la chasse et à la pêche, le jeune Tyrrel ne borna même pas là tout son savoir ; car il y joignit non-seulement la théorie, mais encore la pratique de l’art de boxer et le talent de jouer du bâton. Ces exercices ajoutaient à toutes ses autres qualités une force de corps extraordinaire.