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les discours de M. Falkland n’étaient pas de vaines paroles. Je connaissais son génie ; je sentais la force de son ascendant. Si j’en venais aux prises avec un tel homme, quel espoir avais-je de vaincre ? Si j’étais vaincu, quelle était la peine qui m’attendait ? Eh bien donc, le reste de ma vie sera dévoué au plus cruel assujettissement ! affreux arrêt ! Et s’il était ainsi, qui me garantirait contre les injustices d’un homme défiant, capricieux et déjà criminel ? J’enviais le sort du malheureux attaché sur l’échafaud. J’enviais celui de la victime de l’inquisition au milieu des tortures. Au moins, m’écriai-je, ils savent ce qu’ils ont à souffrir ; et moi, je ne puis que m’imaginer ce qu’il y a de plus épouvantable, et me dire ensuite : le sort qui m’est réservé est pire encore que tout cela.

Heureusement pour moi, ces sensations n’étaient que passagères ; la nature humaine ne pourrait pas supporter longtemps ce que j’éprouvais. Par degrés mon âme secoua son fardeau. L’indignation succéda aux émotions de la terreur. Les sentiments hostiles de M. Falkland excitèrent en moi des sentiments de même nature. J’étais déterminé à ne jamais me permettre contre lui un seul mot qui pût blesser sa réputation, bien moins encore à rien laisser percer du grand secret de sa vie. Mais en abjurant entièrement tout rôle offensif, je pris bien la résolution de me tenir ferme sur la défensive. À quelque prix que ce fût, je voulais conserver la liberté d’agir d’après les déterminations de ma volonté. Si je venais à avoir le dessous dans cet assaut, il me resterait au moins la consolation de penser que je