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On peut croire que ces menaces ne furent pas sans effet. Je me retirai sans rien dire. Toutes les facultés de mon âme se révoltaient contre le traitement que j’endurais, et pourtant je ne pus proférer un mot. Pourquoi ne pus-je pas exprimer tout ce dont mon cœur était plein, ou proposer le compromis dont j’avais projeté les articles ? Ce fut le défaut d’expérience et non de courage qui me réduisit au silence. Chacune des actions de M. Falkland portait un caractère nouveau, et je n’étais pas préparé à y répondre. Peut-être trouvera-t-on que le plus grand héros du monde est redevable de l’heureux à-propos de sa conduite dans toutes les circonstances à l’habitude qu’il a de rencontrer des difficultés, et d’en appeler promptement à toute l’énergie de son âme.

Je contemplais avec le plus grand étonnement les procédés de mon maître. Un sentiment d’humanité et de bonté générale était une des parties fondamentales de son caractère ; mais, à mon égard, ce sentiment était stérile et inactif. Son intérêt personnel exigeait qu’il se conciliât mon affection ; mais il aimait mieux me gouverner par la terreur, et me tenir sans cesse sous le regard de son infatigable inquiétude. Je méditais avec les sensations les plus tristes sur la nature de mon infortune. Je n’imaginais pas de créature humaine dans une position aussi digne de pitié que la mienne. J’étais comme si chacun des atomes qui me composaient eût eu une existence séparée, et que tous s’agitassent au dedans de moi. Je n’avais que trop de raison de croire que