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peu d’indécision et de désordre dans son esprit, et donna une allure originale à sa conduite.

De mon côté, j’étais loin d’être ingrat de la distinction qu’on me témoignait. Si mon esprit avait un peu perdu de son ressort et de sa vivacité, au moins la réserve qu’il avait fallu m’imposer ne portait-elle aucun alliage de misanthropie ni d’insensibilité. Cette réserve ne tint pas longtemps contre les attentions pleines de condescendance de M. Forester. Je me sentis par degrés plus rassuré, plus encouragé, plus confiant. J’avais un désir ardent de m’avancer dans la connaissance des hommes ; et, quoique personne peut-être n’eût aussi chèrement payé ses premières leçons dans cette école, mon envie d’apprendre n’avait nullement diminué. M. Forester était la seconde personne que j’eusse vue qui me parût mériter l’analyse, et il me semblait presque aussi digne d’être étudié que M. Falkland lui-même. J’étais charmé de pouvoir m’arracher au tourment de mes pensées, et les moments que je passais avec ce nouvel ami n’étaient pas empoisonnés par l’image des maux dont j’étais à toute heure menacé.

Avec de telles dispositions, j’étais ce qu’il fallait à M. Forester, un auditeur assidu et attentif. J’étais susceptible de vives impressions, et à mesure que mon âme les recevait, elles se manifestaient visiblement dans mes traits et dans mes gestes. Les observations que M. Forester avait faites dans le cours de ses voyages, les opinions qu’il s’était formées, étaient pour moi autant de sujets d’amusement et